L'enfant est une personne.
Et une personne à part entière, à laquelle, même si elle a
donc des droits identiques aux adultes, la société doit protection et
assistance particulières.
Parce que la société doit garantir à l’enfant, personne en
construction, de pouvoir grandir et se réaliser dans la plus grande sécurité
possible.
Comme le dit le préambule de la Convention des droits de l’enfant:
«l’enfance a droit à une aide et une assistance spéciales» afin d’assurer son
bien-être.
Mais cette protection qui ne souffre aucune discussion et qui
comporte aujourd’hui encore de nombreuses failles qui ne sont pas acceptables,
ne doit pas faire oublier le volet émancipation qui a été, comme la sécurité, à
l’origine de cette convention qui lui garantit «le droit d’exprimer librement
son opinion sur toute question l’intéressant», des opinions qui doivent être «dûment
prises en considération».
A l’aune d’affaires récentes de violences et d’agressions
intolérables et insupportables, on tend à parler uniquement de sécurité et
n'évoquer qu'à la marge les droits des enfants.
Il ne faut pas que la préoccupation sécuritaire qui doit
prendre encore plus d’ampleur n’étouffe néanmoins l’exigence émancipatrice qui,
doit, elle aussi prendre une dimension supplémentaire.
D’autant, que sur cette vague sécuritaire surfe à nouveau un
discours qui tend à tout simplement nier les droits de l’enfant, faisant de lui
un être complètement irresponsable, auquel on dénie tout choix autonome et lui
imposer une tutelle stricte au nom d’errances réelles dont il n’est pas responsable,
donc qui ne peuvent justifier le retour à un ordre antérieur où sa volonté
était complètement ignorée ou bridée à l’excès.
C’est vrai que ce mouvement d’émancipation a trop souvent
été instrumentalisée par des adultes, conduisant ainsi à des comportements
répréhensibles de ceux-ci à l’égard des enfants et à nombre d’errements
notamment dans les années 1960 et 1970 lorsque, au nom d'une liberté de la
sexualité infantile, certains ont, par exemple, prôné des relations «libérées»
avec des adultes comme le fit une frange du mouvement hippy ainsi que nombre de
militants de la gauche radicale ou de l'anarchisme.
Une époque qui faisait encore que dans les années 1980, on
pouvait inviter des pédophiles assumés sur les plateaux de télévision et, quoi
qu’en disent ceux qui les recevaient alors et qui parlent aujourd’hui pour se
dédouaner d’un «autre temps», suscitait chez beaucoup un dégoût absolu!
Des erreurs que l'on rappelle fort justement à tous ceux qui
avaient oublié que l'émancipation des enfants n'est rien sans une véritable
protection, qu’émancipation est le contraire d’exploitation.
Oui, la liberté pour vraiment exister nécessite la sécurité,
même chez les enfants, surtout chez les enfants.
Cependant, cette dernière ne doit pas être un prétexte à
refaire de l'enfant un être incapable auquel on nie sa personnalité, son individualité,
donc sa capacité à faire des choix.
Ainsi que l’explique le pédiatre Janusz Korczak, cette
grande figure de la défense des enfants assassiné avec les orphelins dont il s’occupait
par les nazis à Treblinka:
«L’enfant est un être doué d’intelligence qui connait
lui-même ses besoins, ses problèmes, ses difficultés. Pas besoin d’ordres
despotiques, de rigueurs imposées, d’un contrôle méfiant. Ce qu’il faut, c’est
du tact pour rendre l’entente possible, et une confiance en l’expérience, qui
facilitera la cohabitation, la collaboration. L’enfant n’est pas un sot: chez
eux les imbéciles ne sont pas plus nombreux que chez nous. Nous drapant dans
notre dignité d’adultes, nous leur imposons cependant un nombre considérable de
devoirs ineptes et de tâches irréalisables. Que de fois l’enfant ne s’arrête-t-il
pas frappé de stupeur devant tant d’arrogance, d’agressivité, tant de bêtises
âgées.»
D’autant que, dans le même temps, vis-à-vis de la
délinquance juvénile, c’est un discours de répression qui est devenu
majoritaire, ce qui signifie que l’on estime que les enfants et les adolescents
doivent être responsables de leurs fautes à l’encontre de la société mais donc
pas de leurs choix personnels!
Un paradoxe incompréhensible et incohérent qui fait de l’enfant
un être à deux têtes, ce qui arrange bien les adultes.
On ne peut pas protéger l’enfant de lui-même quand il veut
faire des choix de vie et le réprimer lorsqu’il fait des infractions et des
transgressions!
Il ne faudrait pas que la protection, indispensable et
incontournable, ne rime avec régression et retour à un temps où l'enfant était
considéré comme un inapte à décider en tout, notamment tout ce qui concernait
sa vie, où ses parents choisissaient pour lui de ses vêtements à ses lectures,
de ses loisirs à ses études, de ce qu'il devait penser, dire et aimer.
Comme l’écrit fort justement le sociologue François de
Singly:
«La reconnaissance de l’enfant comme personne, comme
individu, ne signifie pas que l’enfant est un adulte. Elle indique que le
processus central des sociétés contemporaines occidentales – l’individualisation
– touche désormais aussi les enfants. La nature sociale de l’enfant dans nos
sociétés est d’être double: être ‘petit’ – c’est incontestable – mais aussi d’être
un individu comme les autres méritant d’être traité avec le respect propre à
toute personne. (…) L’enfant est à la fois fragile comme un enfant et
respectable comme tout être humain. (…) Cette tension permanente entre ‘protection’
et ‘libération’ caractérise la spécificité de l’individualisation pour l’enfant.»
Ici, il n'y a aucunement l'idée de prétendre que les
prédateurs et les criminels n'existent pas et qu'il ne convient pas de les
empêcher de nuire et de mettre entre eux et les enfants une barrière
infranchissable.
Et, cela va de soi, toute violence contre un enfant doit
être sanctionnée le plus durement possible alors que ce n'est toujours pas le
cas malheureusement comme vient d'en témoigner le verdict de 20 ans de prison
seulement pour le tortionnaire du petit Tony, trois ans, torturé et frappé
jusqu’à l’ignominie, jusqu’à sa mort.
Reste que l'on ne peut pas dire à un pré-adolescent et à un
adolescent qu'il ne peut rien décider de sa vie et qu'il n'a aucun
discernement.
Tout cela est une question d'équilibre et n'est pas toujours
aisé à réaliser mais on ne peut réduire l'enfant à un être, voire un objet, à
protéger non seulement, contre les autres mais également contre lui-même quoi
qu’il dise, quoi qu’il fasse, quoi qu’il veuille accomplir.
En revanche, cette protection renforcée pourrait être le
point de départ d'une amélioration de la condition des enfants dans la société
où, malgré les inepties de quelques «spécialistes», ils ne sont pas des rois et
n'ont même pas la place que nous croyons leur avoir fait – la réalité et les
statistiques le montrent clairement – même s'il est évident que nous les
considérons plus et sans doute mieux qu'il y a un siècle ou deux.
Mais cette amélioration ne peut être réelle que si cette
meilleure protection s'accompagne d'une plus grande émancipation ce qui
implique que les adultes s'attèlent à bâtir un monde où le respect de l'enfant
sera un impératif catégorique qui se traduira concrètement par une planète qui
ne sera pas uniquement celle des adultes où les enfants ont comme injonction de
devoir s'adapter quoi qu'il leur en coûte et de se taire mais un monde que ces
adultes auront rendu également à la hauteur de leurs enfants, ce qui, au-delà
de la taille des corps, nécessite une élévation qui est bien plus forte que ce
qui a été fait jusqu’à maintenant.
Entendre la parole de l’enfant et de l’adolescent, ce n’est
pas seulement l’entendre quand il parle des agressions et des violences qu’il a
subies mais aussi quand il parle de sa condition et de ses souhaits.
Les écouter, c’est leur permettre de se réaliser tout en les
protégeant.
En les comprenant, nous ferons d’eux de vraies personnes.
Et comme le dit le poète:
«Vos enfants ne sont pas vos enfants, ce sont les fils et
les filles de l’appel de la Vie. Ils viennent à travers vous et non pas de
vous, et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas» (Khalil
Gibran)
Alexandre Vatimbella